
Sur les traces de qui pose-t-on nos pas dans les sentiers et où menaient ces milliers de portages encore en creux dans la tourbe entre deux lacs? Cette question est à l’origine de ce livre. Ce sont les portages que l’on détecte intuitivement sur les berges des rivières à l’approche d’un bon rapide ou les sentiers partagés naturellement avec les orignaux le long de coulées vers des hauteurs qui me ramènent toujours dans le bois et qui m’ont conduite au bout du présent ouvrage. Autant je ne me lasserais pas de célébrer la beauté et la diversité des paysages traversés, autant la discrète omniprésence humaine m’intrigue. Vous croyez redécouvrir l’Amérique lorsqu’apparaît la plaie d’une branche coupée à la scie, un ruban fluorescent, une marque ancienne dans l’écorce d’un arbre qui délimite un lot, un rond de feu. Et tous ces chemins! Plusieurs sont neufs, la plupart sont anciens, et bon nombre datent de la préhistoire. De l’intuition à la recherche documentaire, il y a convergence. Par couches imprimées sur le sol, beaucoup d’allées et venues se superposent.
En cours de recherche, des personnages ont repris vie. De la remontée de l’Outaouais jusqu’à la mer salée au prolongement récent de l’Appalachian Trail dans les Chic-Chocs, en passant par les sentiers impossibles des porteurs de nouvelles et ceux des contrebandiers, plus diffus, ce livre en est un d’aventure : celle d’individus qui ont poursuivi un rêve; celle qui a soutenu la construction d’un pays par ses usagers. Souvent cités, ces personnages nous ramènent au terrain où l’on s’enfonce dans la fondrière, enjambe des chablis, se bouscule dans les portages. Ils marquent le parcours, le cartographient ou le nivellent, autant qu’ils portent un regard attachant sur le territoire. Chacun des chapitres qui suivent explore le trajet, exceptionnel ou routinier, d’hommes portés par une motivation profonde. Celle-ci est à la fois ancrée dans leur époque et fortement teintée par leur personnalité. On suit leurs déplacements dans un environnement et des conditions qui en précisent ou en altèrent la trajectoire.
Les personnages que l’on côtoie dans ce livre nous mènent dans plusieurs régions du Québec. Certaines routes, mythiques ou explorées pour satisfaire des intentions particulières, se sont imposées d’elles-mêmes. Des choix ont donc été faits au détriment d’autres parcours, sans chercher à couvrir l’ensemble des régions. La décision d’extraire la matière à même les témoignages écrits pour composer cet ouvrage a créé de grands absents : tout d’abord les Autochtones, que l’on côtoie comme guides sans connaître leurs points de vue; puis les femmes qui ont très certainement arpenté le pays sans pour autant laisser de traces écrites. Néanmoins, le cumul des expériences relatées évoque une histoire de notre rapport au territoire et à la marche. De leur succession se dégage un portrait évolutif du quadrillage des sentiers et du rôle qu’on leur assigne.
En cherchant à donner du sens aux trajectoires et de la profondeur à l’intimité entretenue avec les espaces sauvages, j’ai trouvé que la balade moderne n’en était que plus attrayante. J’invite donc le lecteur à chausser ses souliers de randonneur ou à empoigner son aviron en lui proposant, en fin de chapitre, quelques sentiers actuels et parcours canotables passant directement sur les traces des anciens ou en périphérie de celles-ci. Le lecteur plus contemplatif se satisfera de quelques points d’observation sur ces sentiers et rivières. Quel que soit ce qui l’anime, il est convié au fil des pages qui suivent et lors de ses pérégrinations en plein air à redécouvrir le Québec à 5 km/h et à y laisser ses propres empreintes.
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Trois chroniques à la radio de Radio-Canada en août 2019.
Dans la Vallée de la Jacques-Cartier
Une expédition sur l’Ashuapmushuan à 7h23 sur l’audiofil